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Industrie et bâtiment : En route pour la collaboration

Published 14th Nov 21 - by Frédérique Josse

Industrie et bâtiment : entre complémentarité et hybridation

Ils sont un peu comme chiens et chats. Différents mais inséparables. Le bâtiment et l’industrie, longtemps fâchés, forment désormais une union fertile. En tous cas, dans le hors-site, le mariage est consommé : les deux secteurs fonctionnent en complémentarité et hybridation croisée. Décryptage avec Stéphane Gélibert, responsable commercial marketing et R&D pour ARaymond France.

Campus Hors-site : Comment l’industrie et le bâtiment s’hybrident-ils au sein de votre structure ?

Stéphane Gélibert, responsable commercial marketing et R&D pour ARaymond France : En 2012, alors que nous adhérions au pôle innovation constructif Nord-Isère, j’ai constaté qu’il y avait des opportunités pour imbriquer ces deux univers. Pour moi, le bâtiment est très proche de l’automobile car il a les mêmes fonctions de lieu de vie. Nous sommes leader mondial dans la fixation automobile… Pourquoi ne pas devenir également un acteur reconnu dans le bâtiment ? Les fonctions sont similaires entre la voiture et le bâtiment, hormis le train roulant (isolation phonique, thermique, acoustique, gestion des fluides, chauffage, ventilation, etc.). Nous avons alors commencé à concevoir et fabriquer des pièces de fixation clipsables, à destination des industriels et acteurs de chantiers. Suite à cela, nous avons créé une activité Bâtiment (commerce, R&D et Marketing) pour répondre aux attentes de de l’ensemble de la chaîne de la valeur, en partant de l’industriel jusqu’aux installateurs. Aujourd’hui, nos produits sont vendus à des acteurs de la rénovation énergétique, notamment les fabricants de bâtiments modulaires, en 2D et 3D, principalement pour la création de façades. Notre force, c’est de faire côtoyer ces deux mondes dans nos brainstormings et la R&D. Cela facilite la transposition des savoir-faire et des innovations de chaque secteur.

C.H.S :   Quelles sont les similitudes de ces deux secteurs ?

S.G : Le bâtiment et l’industrie automobile ont les mêmes besoins, avec des échelles et des normes différentes. Ils ont aussi la particularité de pouvoir bénéficier d’une hybridation croisée, c’est-à-dire que les expertises sont facilement interchangeables et transférables. Les savoir-faire de l’industrie sont régulièrement transposés sur le bâtiment. Mais désormais, nous faisons également l’inverse. Nous avons par exemple développé un clip pour fixer manuellement, de manière rapide et facile, des colliers autour des tuyaux des chantiers immobiliers. Et bien, cette technologie brevetée a intéressé des grands constructeurs automobiles, qui l’ont intégré dans leur processus d’assemblage.

C.H.S : Comment cette complémentarité doit-elle être orchestrée selon vous ?

S.G : Elle n’a pas forcément vocation à devenir une business unit indépendante à part entière. Elle doit pouvoir côtoyer facilement les deux univers pour créer de l’économie circulaire et utiliser toutes les ressources locales. Nous devons vraiment avoir une vision marketing transversale car les besoins sont communs entre tous les modules, en Europe mais aussi aux États-Unis et en Asie. Il y a des besoins en petits volumes localement mais aussi un marché gigantesque au niveau mondial. Se développer sur ces deux marchés n’est pas antinomique.

“Il faut développer une politique marketing transversale, à la fois locale et globale, pour s’inscrire dans une économie circulaire”.

C.H.S : Les méthodes de travail de l’industrie et du bâtiment sont-elles très différentes ?

S.G : Dans le bâtiment, l’organisation traditionnelle est plutôt séquentielle. On réalise les tâches les unes après les autres. À l’inverse, dans le hors-site, beaucoup de projets sont menés en parallèle puis assemblés dans un second temps, en toute sécurité. Le fait de préserver chaque corps de métier en usine permet de ne pas dégrader la qualité des premiers travaux. Tout est fait sur place, avec des procédures industrielles similaires et respectées par chacun. L’industrie forme les professionnels à des tâches spécifiques, dans un contexte bien structuré, avec des règles à respecter et des procédures iso 9001 très strictes. Cela permet de structurer l’activité mais aussi d’optimiser les coûts et de mieux recycler les matériaux, car tout est tracé. C’est une vraie démarche de développement durable.

C.H.S : Comment conjuguer le meilleur des deux mondes ?

S.G : Ce qui est très intéressant dans le bâtiment, c’est que tous les matériaux et composants existent déjà. Toute La matière est là. Il faut juste créer des nouveaux concepts avec des méthodes industrielles. Il ne s’agit pas de faire de l’artisanat en usine mais au contraire d’industrialiser les procédés pour créer des habitudes et des gestes communs, ainsi qu’un niveau de qualité supérieur, tout en respectant chaque matériau et les normes du bâtiment.

C.H.S : N’y a-t-il pas un risque que tous les bâtiments se ressemblent, créant une monotonie immobilière que ni les architectes ni les usagers ne veulent ?

S.G : Vous trouvez que tous les véhicules se ressemblent ? Il ne me semble pas… Pourtant, ils sont fabriqués de manière industrialisée. Mais on les conçoit avec des matériaux différents, des options supplémentaires sur le tableau de bord, etc, pour les personnaliser jusqu’au bout. Oui, il y a une ossature commune permettant de massifier la production et de réduire les coûts. Mais cela n’empêche en rien de personnaliser chaque produit. Je pense qu’il faut arrêter de produire des prototypes dans le bâtiment, cela coûte tellement cher. Dans l’industrie, nous l’utilisons pour faire un essai et ensuite, on massifie et on duplique, pour en faire une série. Cela n’empêche pas les designer de faire du “restyling” tous les deux ans, pour mettre leur touche de créativité et d’unicité.

C.H.S : Le bâtiment est-il le nouveau champ d’exploration et d’innovation des industriels ?

S.G : Oui, en effet, car beaucoup de nouveaux complexes multi matériaux ou mix matériaux n’ont jamais été testés avec une performance supérieure pour être industrialisés. La question, c’est comment mieux gérer les filières de production et de recyclage pour limiter notre impact sur l’environnement ? Dans l’automobile, on nous demande de tout démonter et de remonter facilement avec un système de clipsage. Cela permet de séparer chaque composant et donc de mieux optimiser ses ressources et de mieux alimenter les filières de recyclage. Nous avons une vision très claire sur la manière dont on doit améliorer le secteur pour mieux vivre le monde de demain. Ces champs d’exploration et d’innovation doivent profiter au bâtiment.

“Il faut créer des ponts et des collaborations entre différentes entités, pour constituer des clusters innovants.”

C.H.S : Concernant l’innovation et la R&D, comment bénéficier de l’expertise industrielle ?

S.G : Il faut utiliser les mêmes méthodes que l’industrie : effectuer des demandes de crédit d’impôt recherche, monter des projets collaboratifs, en France mais aussi à l’échelle européenne. À titre d’exemple, la démarche de rénovation énergétique industrialisée Energiesprong, née aux Pays-Bas, permet de créer du lien entre tous les acteurs de la filière. Trop peu d’acteurs vont chercher ce type de financements aujourd’hui, en dehors des grands groupes. Il faut créer des ponts et des collaborations entre différentes entités, pour constituer des clusters innovants. Les fabricants de matériaux et les maîtres d’ouvrage sont trop souvent chacun dans leur coin !

Et puis, pour s’assurer de la qualité des chantiers, il faut industrialiser certains éléments pour donner toujours la même qualité à chaque étape de fabrication. La qualité ne doit pas dépendre d’un homme, c’est-à-dire de l’artisan mais de la bonne mise en œuvre de processus. Le tout étant ensuite validé par un contrôle qualité très strict, à chaque étape de la fabrication. Aujourd’hui, de moins en moins de gens se forment au bâtiment car ces métiers ne sont plus attractifs. On peut palier à cela avec des méthodes industrielles pour regrouper les compétences en usine, offrir des emplois localement tout en gagnant en productivité. De cette manière, on est à la fois vecteur de croissance et l’on s’inscrit dans une véritable responsabilité sociétale et environnementale. J’ajoute qu’en usine, on peut aussi offrir une égalité femme-homme qui est plus compliquée sur les chantiers. On peut offrir un cadre de travail plus agréable, plus confortable et plus sécuritaire.

C.H.S : En termes d’hybridation et de fertilisation croisée, quels sont les bénéfices et les difficultés ?

S.G : Le bénéfice principal de cette hybridation est de créer une cohabitation fertile entre industrie et constructeurs. Quant aux difficultés, elles résident essentiellement dans le manque de communication entre ces deux mondes. Il faut se parler pour anticiper les choses en amont. Pour cela, il est intéressant d’avoir un professionnel référent dans chacun des deux secteurs, pour comprendre les contraintes et les besoins de chacun et pour que tous les acteurs se coordonnent, quant aux plannings et aux différentes phases du projet. Gagner du temps et gagner en confiance, c’est sécurisant pour tout le monde.

Article par Frédérique JOSS