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Hors-site : quelles compétences et savoirs-faire pour les entreprises générales ?

Published 12th Déc 22 - by Kim Biegatch

Entreprises générales : qu’est-ce que le hors-site provoque comme besoins de savoir-faire et de compétences ?

Des chantiers moins bruyants, des constructions plus rapides et qualitatives… En seulement quelques années, le hors-site a fait la montre de ses bénéfices. Aujourd’hui, la question qui se pose pour les entreprises générales n’est plus de savoir s’il faut adopter ce nouveau mode constructif mais comment. Quels sont les freins à lever pour qu’elles puissent se saisir de cette méthode prometteuse ? Les besoins de compétences et de savoir-faire manquants ? Éléments de réponse avec deux entreprises générales.

Plébiscitée aux États-Unis et dans les pays du nord de l’Europe, la filière hors-site représente environ 9% du marché de la construction britannique. Ce principe de construction, qui repose sur les règles de fabrication industrielle – la préfabrication d’éléments en usine et leur assemblage sur site – connaît une progression plus modérée dans l’hexagone, bien qu’une accélération se fasse sentir depuis quelques mois.

À la recherche de modes constructifs plus performants

Sébastien Rigot, directeur général de Valentin Construction, une société d’actionnariat lancée il y a un an avec la volonté de développer des modes de construction plus innovants, explique cette lenteur par le “cadre normatif français très lourd” et une frilosité des banques et des assurances. Cet ingénieur de formation voit pourtant dans le hors-site de nombreux avantages : une réponse à la pénurie de main d’œuvre qualifiée et une amélioration de la qualité de fabrication, des conditions de travail et de la vitesse de réalisation des projets. “Si on remplace le traditionnel par de la construction modulaire, ça devient intéressant, parce qu’on supprime la partie pénible et peu rentable du travail et on met le personnel à l’abri en usine. Cela nous permet d’avoir des conditions de travail qui sont celles recherchées aujourd’hui par les ouvriers du bâtiment”. 

Un avis partagé par Charles Boisseau, à la tête du Groupe Boisseau depuis une dizaine d’années. Convaincu que l’industrialisation “gomme tous les problèmes récurrents du chantier traditionnel”, il a créé une entreprise dédiée au hors-site en 2019 pour “prendre ce sujet à bras le corps”. Avec un intérêt particulier pour la capacité de l’industrialisé à limiter l’impact environnemental de la construction grâce, notamment, au recours à des matériaux bio-sourcés.

Les deux chefs d’entreprise, qui viennent du secteur traditionnel, reconnaissent avoir eu besoin d’un accompagnement pour se lancer dans ce nouveau marché prometteur. “Pour commencer, nous avons fait appel à Hors-Site Conseil qui a complètement ouvert nos chakras sur plein de domaines techniques, explique Charles Boisseau. Grâce à eux, nous avons revu notre technologie. Et de cette technologie-là va sortir notre nouveau concept de modules en béton, métal et bois”. Déjà doté d’une équipe d’ingénieurs familiarisés au modulaire, l’entreprise compte simplement les faire “switcher” sur cette nouvelle technologie. En revanche, côté usine, les besoins de main d’œuvre se font sentir. “Nous allons recruter de nouveaux opérateurs pour réaliser ces modules et nous allons les former nous-mêmes en interne” explique Charles Boisseau qui anticipe déjà “un sujet compliqué”.

Des besoins de formation pour pivoter du traditionnel au hors-site

Et pour cause : si le hors-site présente de nombreux avantages, sa mise en œuvre est loin d’être évidente, notamment pour les entreprises générales qui doivent remettre à plat et repenser leur process. Pour Sébastien Rigot, qui s’est acculturé au sujet du hors-site à travers de la R&D lors d’une précédente expérience professionnelle, l’adoption de ce nouveau procédé constructif requiert deux phases d’apprentissage. Une première phase d’acculturation avec le sujet qui va permettre d’adopter le bon état d’esprit, et une seconde pour se former à la technique. “Former pour former, c’est une bêtise. Il faut d’abord initier les gens, leur faire comprendre comment fonctionne le hors-site. C’est un peu le fond et la forme : on se met en adéquation avec la manière de penser, on oublie son parti pris traditionnel et on accepte qu’il y a des pré-requis et des dogmes sur cette méthode, explique l’ingénieur qui dit préférer une entrée en matière très généraliste, basée sur le “pourquoi”, plus que sur le “comment”. “Une fois qu’on a compris cela, on peut rentrer dans le détail de la technologie et apprendre à se servir des outils. Ce n’est qu’après avoir compris la méthodologie, qu’on peut être innovant et inventer de nouvelles choses”.

Sébastien Rigot estime surtout qu’il est crucial de savoir où se trouvent les limites du hors-site. “Chaque procédé, chaque technologie a ses avantages et ses inconvénients. Il faut absolument les connaître pour savoir quel est le champ des possibles”. Au-delà de la seule formation, il affirme que l’expérience du terrain est également un atout non négligeable car “il y a une part d’intuitif dans tout cela”.

Une acculturation indispensable de tout le secteur, du bureau d’étude au chantier

Les entreprises générales ne sont pas les seules à être désarçonnées par l’introduction d’une nouvelle façon de penser la construction et par les méthodes innovantes du hors-site. “Ce qui est compliqué, c’est la relation avec les architectes et les bureaux d’étude qui n’arrivent pas à avoir de repères et à faire la corrélation entre l’industrialisé et le traditionnel, explique Charles Boisseau, qui souligne que ce problème concerne particulièrement la thermique des bâtiments. Nous avons trop souvent affaire à des thermiciens qui modélisent des scénarios de chauffage qui marchent très bien dans du traditionnel mais qui sont totalement inadaptés à la construction industrialisée, soupire-t-il. Le chef d’entreprise a pris le parti d’organiser régulièrement des journées portes ouvertes pour acclimater ses partenaires, bureaux d’étude en tête, au sujet de l’industrialisé. “On les emmène dans l’usine pour qu’ils comprennent que les préconisations qu’ils nous font ne marchent pas avec le hors-site”.

Qu’est-ce qui explique de telles difficultés ? Un manque de sensibilisation à la construction hors-site et une mauvaise compréhension de ce marché, selon les acteurs du bâtiment interrogés. “Pour l’instant, pour Monsieur et Madame Tout le monde, le hors-site ça ne veut rien dire”, estime Charles Boisseau. “Ça fait 16 ans que je travaille et je peux vous dire qu’il y a un gros travail à mener pour faire connaître le hors-site aux entreprises générales, et à tout le secteur”, abonde Sébastien Rigot. Le chef d’entreprise, qui estime que c’est sa rencontre avec le CEO du groupe Hors-Site Pascal Chazal qui lui a permis de se lancer, regrette le manque de volonté politique et un certain conservatisme qui empêchent le développement massif du hors-site.

Trois ans après avoir lancé sa branche hors-site, le directeur du groupe Boisseau s’évertue à sensibiliser l’ensemble des acteurs de la filière. Son objectif ? Créer un véritable écosystème rassemblant des entreprises générales, des fabricants de modules, des architectes et des bureaux d’études capables d’aller proposer du hors-site à leurs clients. Une marche en avant qu’il juge “inéluctable” : “Nous avons encore affaire à des réfractaires. Mais il faut que tout le monde comprenne que si on n’industrialise pas une partie de la construction en France, avec le manque de main d’œuvre qu’on a, on ne va pas y arriver en traditionnel”. Pour faire avancer ses projets, le groupe Boisseau a pris la décision d’intégrer et de développer au maximum les compétences de conception réalisation en interne. Un parti pris qui fait grincer les dents de certains cabinets mais que celui-ci juge indispensable pour faire progresser ce mode constructif innovant. “Nous n’avons plus le temps d’attendre”, conclue Charles Boisseau.